« Au final, on ne vend que des différences »

Vous ne le connaissez sans doute pas, mais vous avez déjà fréquenté son établissement. Depuis 1999, le Galway est l’un des incontournables du boulevard des Pyrénées, et Georges en est le propriétaire.

Romain : Pourquoi tu as lancé le Galway, en 1999 ?

Georges : J’ai toujours pensé que n’avoir qu’une seule activité professionnelle, c’était pas forcément viable, que ça pouvait s’arrêter du jour au lendemain, et qu’il fallait donc avoir une porte de secours. En 99, j’étais déjà propriétaire du Café du Parc, et j’ai eu une opportunité ici. A l’origine c’était un bar branché techno, ils passaient la musique à fond, le bar était pas très bien insonorisé, beaucoup de nuisances sonores, des fermetures administratives qui se succèdent, et puis un redressement judiciaire. Donc j’ai proposé un deal au propriétaire pour qu’il puisse sortir la tête de l’eau et que je mette les pieds dans l’affaire. Il a fallu faire des travaux, tout casser pour fabriquer une « boîte dans la boîte » et isoler phoniquement. Comme j’aime beaucoup l’Irlande et que ça faisait longtemps que j’avais envie de faire un pub, je me suis dit : quitte à tout péter, autant faire ça là ! C’est ça l’histoire du Galway.

Séverine : Qu’est-ce que tu aimes dans les pubs et la culture irlandaise ?

Georges : Le côté convivial des Irlandais et le côté culturel du pub. La première fois que je suis allé là-bas j’avais trouvé ça étonnant. J’étais avec un copain qui m’avait expliqué : là-bas, si ta bagnole tombe en panne, plutôt que d’aller au garage pour avoir un rendez-vous et attendre une semaine, tu vas au pub et tu demandes au barman. Il te branche avec le garagiste et t’as rendez-vous dès le lendemain. J’aime beaucoup ce côté « centre de vie », où tout se passe et où le vrai boss, c’est le barman. C’est lui le chef d’orchestre. C’est lui qui qui doit orienter, c’est lui qui voit qui rentre avec la balle de tennis, qui rentre avec la raquette, et comment mettre les deux en contact. C’est ça qui me plaisait beaucoup.

Séverine : Tu es beaucoup allé en Irlande ?

Georges : J’y vais régulièrement ; avec mon manager on y est encore allés cette année… Une petite piqûre de rappel, histoire de voir comment ça a évolué, ce qui se fait aujourd’hui... Comme en plus j’ai d’autres projets en tête, autant voir comment ça se passe actuellement.

Galway Jérémie : Mais ton choix il a été fait par pur opportunisme commercial, ou vraiment parce que ça te plaisait ?

Georges : Parce que ça me plaisait. Pour moi, la définition d’un bar c’est un endroit où on ne vend pas de l’alcool : on vend de la convivialité. Or il y a peu d’endroit où ça se vend. Moi quand je rentre dans un bar c’est pas pour boire un verre. Par dérivée si, bien sûr, parce que l’endroit s’y prête, mais c’est pas mon but premier. C’est pas parce que j’ai soif, ou pour assouvir un besoin que je rentre dans un bar, c’est parce que j’ai envie de voir du monde, discuter, échanger…Je ne trouve pas qu’il y ait beaucoup d’endroit à Pau qui permettent ça. Je n’en connais pas beaucoup où tu puisses rentrer, serrer la main à tous les gens qui sont là, tchatcher avec le barman…

Séverine : Et tu es content de ce que tu es parvenu à faire ici ? C’est ce que tu voulais ?

Georges : J’en suis très content, mais je ne pense pas avoir beaucoup de poches de croissance pour développer. Ici il y a un problème de par la surface du bar. Les grosses soirées, les soirées où ça bouge, tu ne peux pas mettre plus de monde. Tu ne peux pas non plus développer d’activité de restauration, parce que c’est trop petit. J’en suis content tel qu’il est, mais je ne vois pas comment je pourrais le développer plus. C’est aussi pour ça que j’aimerais bien chercher ailleurs… Tout en gardant celui-là, mais faire aussi autre chose, un endroit où on pourrait aussi manger par exemple, du fish and chips traditionnel, à n’importe quelle heure de la journée…

Séverine : Dans le coin ?

Georges : Peut-être à Tarbes.

Séverine : Je suis en train de me dire qu’à Pau aussi ce serait sympa. Je pense qu’un projet comme ça aurait sa place aussi… Après j’imagine que pour les locaux, c’est un peu compliqué…

Georges : Oui, et puis faut laisser passer les phénomènes de mode, aussi. En ce moment, il y a plein de pubs qui se montent à l’extérieur de Pau. A Bizanos, à Billère, sur la zone de Morlàas, route de Tarbes… Faut laisser passer un peu. En commerce, tout est question de cycles. Les municipalités aimeraient bien pouvoir transférer les nuisances sonores à l’extérieur: à Tarbes ils ont créé une zone autour du l’Arsenal, ici ils ont le projet d’amener vers la gare... Mais c’est un cycle. Parce que les volontés municipales c’est une chose, mais après il y a les réalités... Le jour où quelqu’un sortira d’un établissement à l’extérieur en ayant un peu bu et qu’il aura un accident grave en voiture, la police réagira, et les établissements voudront revenir au centre-ville. Du coup il vaut mieux laisser passer la mode. C’est pour ça que moi je regarde ailleurs en ce moment. Et puis c’est toujours pareil, c’est une question d’opportunité.

Romain : Le bon local, la bonne idée…

Georges : Oui : l’emplacement. Je suis persuadé que c’est super important. Enfin, moi j’y fais spécialement attention, parce que ce n’est pas moi qui travaille derrière le bar. Donc je sais que si je monte quelque chose et que ça ne marche pas – parce qu’on peut toujours se gourrer –, il faut que le produit soit bien placé, qu’il soit neuf et propre, que je puisse le revendre sans y laisser trop de pognon. C’est mes garde-fous. C’est pour ça que j’avais repris le Café du Parc à l’époque, en face du lycée : normalement il y a une clientèle déjà présente, il y a peu de risque ; ici face au Pyrénées, c’est pareil : les montagnes vont pas bouger ! C’est aussi pour ça que j’adore les affaires « centrales », avec d’autres établissements de chaque côté. Quand j’ai acheté ici, le Café Russe, juste à côté, était à vendre aussi. J’avais beaucoup hésité, parce que c’est plus grand. Mais en choisissant le local du milieu, je savais qu’en cas de vente mes voisins pourraient être intéressés : ils sont obligés de passer par moi s’ils veulent s’agrandir.

« Il faut écouter les gens. C’est en les écoutant que tu sais ce dont ils ont besoin. »

Séverine : Tu es ici depuis combien de temps ?

Georges : Je suis arrivé à Pau en 1980, pour faire une saison de plonge dans un restaurant. Et je suis resté. J’arrivais de Valenciennes, c’est bien loin, il y a que la France qui sépare !

Alex : Et comment tu es passé de plongeur à patron de bar ?

Georges : Des opportunités, encore une fois. Quand j’ai quitté le Nord, j’avais un BTS action commerciale, mon boulot c’était la vente. Ici j’ai trouvé plusieurs petits boulots, et tout s’est enchaîné naturellement. J’ai vendu des encyclopédies en porte-à-porte. Un jour, j’ai vendu deux encyclopédies coup sur coup à un mec qui montait un garage, le contact était bien passé, il m’a demandé si je voulais tenter l’aventure avec lui. Donc j’ai vendu des bagnoles. Et puis j’ai vendu une flotte de véhicules à un type qui vendait des produits surgelés, qui m’a embauché pour créer un secteur. Et puis, dans un restaurant avec lequel je travaillais pour vendre mes produits, j’ai rencontré un directeur régional d’une grosse marque de champagne qui cherchait quelqu’un à ce moment-là. Il m’a dit qu’il aimait bien ma façon de travailler, donc voilà.

Séverine : C’est dingue, ta vie c’est une succession de rencontres...

Georges : Oui, les produits n’ont aucun rapport entre eux, à chaque fois ça a été en croisant des gens.

Romain : Et ensuite ?

Georges : Ensuite j’ai eu un problème : mon patron m’aimait beaucoup, et il me voyait une grosse carrière : il voulait que je sois directeur régional en Bretagne, mais avant il y avait une étape à Toulouse. J’ai dû lui dire que je ne pouvais pas, parce que ma femme ne pouvait pas bouger, professionnellement. Il m’a répondu « personne ne refusera de te suivre avec le poste que je vais te donner ». J’ai tenté, mais comme prévu ça a posé des problèmes. Donc j’ai appelé un gros entrepôt qui faisait de la bière ici et que je connaissais – je leur avais vendu du champagne et j’avais formé leurs commerciaux – et j’ai demandé s’ils avaient des pistes pour un poste quelque part. Il s’est avéré que oui, et je me suis retrouvé chez un brasseur.

Séverine : Ça a l’air tellement facile !

Georges : Mais c’est facile ! C’est toujours pareil : c’est une question de rapport avec les gens. C’est un état d’esprit : il faut écouter. Plus t’écoutes, mieux c’est, et du coup tu sais ce dont ils ont besoin. C’est pour ça que pour moi, tout s’est toujours passé naturellement, j’ai jamais eu vraiment l’occasion de chercher du boulot. C’est pas terrible à dire en période de crise, où plein de gens cherchent, mais c’est vrai.

Romain : Tu as combien de salariés ici ?

Georges : Cinq à plein temps. C’est ouvert 7 jours sur 7, de 13h à 2h00 du matin, donc c’est ce qu’il faut.

Romain : Et tu les choisis comment ?

Georges : J’aime bien les gens « bizarres ». Par exemple mon manager, c’est un profil atypique. Il a fait une licence d’anglais, a démarré dans le marketing, puis est parti en Irlande tenir une auberge de jeunesse pendant deux ans. Quand il est revenu en France on a sympathisé. Il reprenait l’anglais en master et ça l’arrangeait de trouver un job étudiant, donc je l’ai pris. Quand après il a dû passer son concours pour être prof d’anglais, il s’est dit que c’était quand même plus sympa de bosser au Galway. Il m’a demandé s’il y avait toujours un poste, et voilà ! Et mon numéro 2 c’est un Anglais, ce qui est quand même une erreur de casting pour un pub irlandais ! Mais il passe très bien, il s’adapte, sauf quand l’Angleterre joue face au Pays de Galles… C’est un peu un irréductible, il refuse toujours de parler français. A une époque je voulais le faire passer numéro un, mais pour ça il faut maîtriser la langue. J’ai essayé de lui faire suivre une formation professionnelle avec des cours de français, mais au bout d’un mois son prof m’appelait pour me dire qu’il séchait. Donc il est resté numéro deux. Mais c’est un garçon adorable !

Séverine : Et ça t’a pas posé problème cette histoire de langue ?

Georges : Pas du tout : à un moment je suis même allé le rechercher en Angleterre, c’est presque de la gourmandise ! Il était reparti chez lui pour des raisons familiales, mais on était en plein crise économique, et il s’est retrouvé avec des jobs pas terribles dans des pubs un peu trop « sex, drugs rock’n roll », à galérer pour se faire payer… On avait gardé le contact, et un jour je lui ai demandé s’il voulait revenir, il a dit oui, et voilà !

Galway Séverine : C’est marrant ce côté « on s’arrange »...

Georges : C’est une question de valeurs en fait, c’est comme ça que je fonctionne avec les gens. C’est comme pour le recrutement : je ne saurais pas dire comment je les choisis, ils sont tous très atypiques.

Romain : Tu n’as pas de profil, c’est comment tu les « sens »…

Georges : Et surtout comment ils s’intègrent au reste de l’équipe pendant la période d’essai. Parce qu’au départ, les gens qui travaillent ici, c’est une bande de potes. Ils sont pas toujours très efficaces, l’attente est souvent plus longue qu’ailleurs en terrasse, mais bon, c’est pas grave. Ça se passe très bien, l’ambiance est différente. Or, je crois qu’au final, on ne vend que des différences. Parce qu’en définitive, le Coca, c’est le même ici qu’ailleurs… Après, au niveau des salariés, ce qui compte pour moi c’est de garder l’ossature : mon numéro un et mon numéro deux. Le reste peut bouger. D’ailleurs, le reste bouge en permanence, vu que c’est justement des profils atypiques. Par exemple, le dernier qu’on a perdu c’est un mec qui était ingénieur. Il est parti pour rentrer chez Total. A la base, il ne voulait pas démarrer ingénieur tout de suite, ça lui plaisait de travailler ici d’abord. Il avait son diplôme, et il était embauché, il a juste temporisé au maximum jusqu’au moment où il a fallu qu’il y aille.

Séverine : Oui, tu laisses vraiment leur chance à ceux dont c’est pas le métier.

Georges : C’est parce que je ne veux pas prendre des gens du métier. Je veux pas faire un bar comme les autres. Sinon je prendrais des pros, c’est facile, il y a plein de saisonniers qui savent bosser comme des malades et qui peuvent te vendre trois pintes quand t’as demandé un Coca. Mais ça ne m’intéresse pas.

Alex : Et en dehors du bar, t’as déjà pensé à monter autre chose, un restaurant, par exemple ?

Georges : Un vrai restaurant, non. Pour moi, la restauration c’est un vrai métier. Un cuisinier c’est un artiste, c’est quelqu’un qui transforme des produits, et pour pouvoir gérer quelque chose, il faut connaître. Moi, des bières, je sais combien ça me coûte, on va pas me promener. Sur un restaurant, gérer la perte je ne sais pas du tout faire : je suis pas cuisinier. M’occuper des achats c’est pas mon taf. J’ai tenté d’autres choses, à un moment, je me suis essayé un peu à l’immobilier, et ça m’a posé problème, c’était clairement pas mon métier. Je manquais de rigueur : quand les gens n’avaient pas de sous pour le loyer, je me disais que c’était pas grave, qu’ils paieraient le mois d’après... J’avais acheté deux immeubles, j’avais neuf appartements et je perdais du fric. Donc j’ai vendu.

Romain : Tu préfères rester dans le secteur des bars…

Georges : Bah c’est un secteur que je connais bien, donc j’y reste. Et en plus je crois que c’est là-dedans qu’on peut s’amuser le plus : tu peux faire vraiment ce que tu veux, c’est ouvert aux nouvelles idées. Par exemple j’ai raté une affaire au Triangle il y a quelques années : je voulais faire un bar étudiant avec une déco très légère mais que les clients s’approprient vraiment. Mon projet c’était que tous les ans, en fin d’année, ce soient eux qui détruisent intégralement la déco, sur une dernière soirée où ça disjoncte un peu. L’idée me plaisait bien : tu finis ton année en tant qu’étudiant, c’est ton bar, bah tu le pètes et l’an prochain t’en auras un nouveau. Et après tu recrées l’événement sur un concept différent. Mais bon, c’était pas la période pour le Triangle à ce moment-là donc ça s’est jamais fait. Mais des idées originales, il y en a plein à trouver, c’est vraiment un secteur qui s’y prête.

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