Un acharné du goût
- Par Romain Miele-Hubert. Publié le jeudi 28 mai 2015.
David Ertortéguy est un passionné, qui a su faire d'un petit local un véritable restaurant de quartier. Nous avons voulu le rencontrer et le suivre pour comprendre ce qui a fait naître sa démarche, et avons découvert un homme débordant d'idées et de projets.
L’Estampille est là sans être là. Place Royale, au milieu des autres restaurants, l’établissement se fait discret. En dehors des heures d’ouverture, lorsque les ardoises sont rangées, il faut être attentif pour remarquer la vitrine et les bouteilles de vin derrière le comptoir. « Quand je ferme, il n’y a plus de restaurant, l’Estampille est introuvable. Moi je trouve ça rigolo », dit David Ertortéguy, patron des lieux.
Le restaurant a ouvert il y a moins d’un an, en aout 2014, et s’est déjà construit une solide réputation et une clientèle fidèle. Le midi, pas de carte fixe : des plats du jour, imaginés par le chef en fonction de ce qu’il trouve sur les étals du marché, de ce qui lui plaît. Le soir, bar à vin avec tapas et tartares.
“ Je suis un rêveur. Je rêvais d’avoir un restaurant, je l’ai eu. Je rêvais d’avoir des enfants, j’en ai deux. Je rêvais d’être footballeur professionnel… bon ça c’est moins réussi ! ”
L’établissement est parfaitement à l’image de David Ertortéguy. Passionné par son métier, il n’en est pas à sa première affaire. « J’ai travaillé 14 ans pour moi-même, à Cauterets. J’étais patron, mais toujours associé. ». Lorsqu’il a acheté l’ancien Livreur de Saveur, il a été séduit par sa taille atypique, par sa terrasse ombragée, et par la perspective de faire quelque chose de nouveau. « Je ne savais pas ce que j’allais en faire, mais ça a été un coup de cœur. J’ai visité le matin, l’après-midi j’appelais pour dire qu’on achetait. ».
Car David fonctionne beaucoup à l’instinct et à l’envie. « Le fait de pas savoir encore ce que je vais faire demain, c’est complètement à l’image de ma vie, en fait ». Véritable pile électrique, il saute de projet en projet, d’idée en idée, sans jamais sembler s’arrêter. « Je suis un rêveur. Je rêvais d’avoir un restaurant, je l’ai eu. Je rêvais d’avoir des enfants, j’en ai deux. Je rêvais d’être footballeur professionnel… bon ça c’est moins réussi ! ».
Son restaurant, son Estampille, c’est le produit d’une évolution débutée à 16 ans, lorsqu’il était apprenti et qu’il préparait des céleris rémoulade en cuisine en rêvant du chaud, de la cuisson. Déjà fasciné par la perspective de travailler, de progresser. Aujourd’hui, il veut faire simple, sans être simpliste.
Son espace de travail surprend par sa modestie. La cuisson se fait sur quatre plaques vitrocéramiques qu’on croirait sorties d’une cuisine de particulier. Il a fait installer une plonge professionnelle, une hotte adaptée, et ça lui suffit. « En voyant ça, beaucoup de cuisiniers se seraient dit « je peux pas travailler avec ça ». Moi je me suis dit « Il y a un truc à faire ». Ça m’a excité. ». Il a adapté son projet aux contraintes du lieu, optant pour des formules déjeuner qui changent chaque jour.
Lorsqu’il est seul, le matin, avant que Camille, la serveuse, n’arrive à neuf heures, il est dans son domaine ; il peut chanter à tue-tête du Noir Désir en découpant son poisson, ou se concentrer en silence. « Je commence à huit heures, et je suis tout juste prêt à onze heures et demie. Le stress monte progressivement, et je me détends après le service. Tous les jours comme ça. J’adore. »
“ Je suis fier de ce que je fais, c’est important pour moi de le montrer. ”
David est un chef qui communique facilement avec ses clients. Quand arrive midi, on le retrouve souvent en salle, discutant avec tous, demandant des nouvelles de son magret de canette, de ses makis de saumons, ou de ses légumes au gingembre. « Je regarde les gens manger, la première bouchée, voir ce qu’ils ressentent. Je suis tout le temps inquiet. Je cours toute la matinée, je ne vais pas rester derrière au moment du service pour jouer à la Game Boy… ». Cette inquiétude vient de l’envie de bien faire, permanente chez lui.
Avoir des produits du marché, frais et locaux est une de ses exigences majeures. « J’ai toujours travaillé autour des produits du pays. Quand j’étais à Cauterets, je m’étais associé à l’AOC Barrèges-Gavarnie, au haricot tarbais, au porc noir de Bigorre… ». Pas question pour lui de sacrifier la qualité à la quantité. « C’est un boulot de fou, mais ça ne trompe pas. Certains jours, je prends des produits qui sont peut-être un peu plus chers ce que je devrais, mais il faut savoir se faire plaisir de temps en temps ! ».
C’est parce qu’il change tous les jours de plats, et qu’il se lève tous les matins pour aller faire son marché qu’il échappe à la routine. C’est également une façon de faire valoir ses valeurs, une cuisine de conviction. « Longtemps, j’ai été en colère devant l’état actuel de la restauration. Aujourd’hui je me suis calmé. Après tout, chacun fait comme il veut ». Lui en tout cas sait ce qu’il doit faire, et sait pourquoi. On retrouve d’ailleurs cette volonté dans le nom qu’il a donné à son restaurant « Ça s’appelle l’Estampille parce qu’on estampille « produits du marché ». Je suis fier de ce que je fais, c’est important pour moi de le montrer. ».
Au-delà du souci de la satisfaction des clients, il y a celui des prix qu’il pratique. « Je suis place Royale, c’est prestigieux, mais je travaille pour les gens qui travaillent. Des formules à 11 euros, le midi, les gens qui viennent avec leurs tickets restaurants. C’est de la simplicité, c’est aussi ça que j’aime. »
“ C’est humain ici. Le but c’est de passer un moment sympa, sans prétention aucune. Partager, faire plaisir. ”
L’Estampille est un restaurant de quartier. Pour tous les habitués, la simplicité des lieux et la présence du chef en salle montrent une proximité réelle. « Je n’ai pas de carte fixe, les gens réservent sans savoir ce qu’ils vont manger. Mais ils viennent quand même. Il s’est installé une confiance qui est assez fabuleuse. C’est ce que je voulais ». On retrouve cet esprit dans l’assiette : la cuisine y est traditionnelle, efficace, soucieuse du goût et des textures ; et les vins « ressemblent à quelque chose ». Ce sont des plats dans lesquels « il y a de la vie », et que le patron vient suggérer directement à ses habitués. « C’est humain ici. Le but c’est de passer un moment sympa, sans prétention aucune. Partager, faire plaisir. Les habitués, je viens les voir je leur dis « J’ai ça en ce moment, ça vous branche ? ». Ils sont contents, je trouve ça chouette. »
Il tient à conserver cet esprit lorsqu’il ouvre le soir, dans une configuration de bar à vins, avec des tapas travaillées, des tartares de bœuf ou de poisson.... « On l’a fait un peu avant l’hiver, et là je me lance vraiment, c’est la bonne période. Toujours de façon à ce qu’il y ait une âme. Je ne veux pas que les gens viennent boire juste un verre sans qu’il se passe rien, il faut du bien-être. ». L’ambiance sera nécessairement différente de celle du midi, mais la cohérence des deux démarches saute aux yeux lorsqu’il en parle. Là encore, la passion et l’exigence de qualité imprègnent le discours. « Mes tapas, c’est des petits plats cuisinés, en réalité. Et en vin, je veux des choses intéressantes, avec de la typicité ». Il parle d’acheter une machine à azote, qui lui permettrait de proposer des très bons vins au verre, d’organiser des petites animations musicales de temps en temps, profitant de sa terrasse. David est plein de projets.
Et pour la suite ? « Je bouge tous les quatre ans, à peu près, je ne sais pas rester en place, j’ai toujours des idées ». Il s’imagine peut-être à Sète, une ville qu’il aime, avec une tradition gastronomique qui lui plaît. Pour sortir du Sud-Ouest, où il a vécu toute sa vie, découvrir d’autres possibilités, aller toujours de l’avant, explorer toutes les facettes possibles d’un métier qu’il porte pleinement. « C’est un travail fort. J’ai parfois des sentiments de bien-être, de mal-être, de fierté, d’être tout petit… Tout ça autour du boulot, de ce qui a pu se passer la veille, de ce que j’envisage le jour-même… C’est bizarre, c’est vraiment vivant. Tout ça pour des formules déjeuner… Faudra peut-être relativiser un jour… Mais pas maintenant. Maintenant j’ai pas envie. Faut s’amuser, on n’a qu’une vie. »