Localypso, la der
- Par Romain Miele-Hubert. Publié le vendredi 10 juillet 2015.
C'était bien, mais c'est fini. Alors que le Localypso a vécu sa dernière soirée fin juin, nous avons rencontré Stéphane Sapanel, l'un de ses principaux animateurs, pour évoquer ce lieu central dans la vie musicale paloise de ces dernières années, et parler de la suite.
Quand on pose la question aux gens, à Pau, nombreux sont ceux qui connaissent l’existence du Localypso. Mais beaucoup ne savent pas le situer. Cet endroit unique, planqué dans les friches industrielles du sud de la ville, a acquis un statut quasi mythique, grâce à sa situation, à sa programmation, et au travail d’A Tant Rêver du Roi. Dans ce collectif, Stéphane Sapanel est co-fondateur et « homme à tout faire ».
« Ça a commencé il y a dix ans, en 2004 quand j’ai pris la gestion du lieu. J’ai dû faire pas mal de travaux avec beaucoup de récup’ et de système D pour l’améliorer et l'aménager ». Le lieu sert alors de local de répétition pour un petit nombre de groupes, dont Sibyl Vane dans lequel joue Stéphane à l’époque. « Pour nous c’était un endroit pratique : il était disponible presque 24 heures sur 24. Il n’y avait pas de voisins, on pouvait jouer jusqu’à une heure du matin, ou toute la nuit si on le voulait, sans déranger personne ». Assez rapidement, le collectif rassemble une dizaine de groupes et fait germer l’idée d’organiser des concerts. « Il n’y a pas pléthore de lieux de concerts à Pau, et on voulait fédérer autour d’une certaine scène : le rock indépendant, la pop, des musiques de traverse, en marge, un peu expérimentales... Bref, ce qui n’est pas très visible, disons. On voulait leur donner un lieu pour permettre à la scène d’exister et aux groupes de tourner, même quand ils n’intéressent qu’une minorité de gens. Là on avait un local assez grand, pas trop excentré, parfait pour ça. ».
Niché dans les friches industrielles, le Localypso peut dérouter les visiteurs, et Stéphane le sait bien : « Parfois des gens me disent qu’ils ont cherché sur Internet, et que les infos qu’ils ont trouvé leur indiquaient n’importe quoi. C’est fait exprès ! On a toujours voulu rester discrets, on n’a jamais affiché, jamais diffusé de flyers : on fonctionne par mailing list et par bouche-à-oreille. Et ça suffit ». Au fil des années se constitue un petit public de fidèles, avec un noyau d’une cinquantaine de personnes présentes pour tous les concerts ou presque, qui assurent la réputation du lieu en en parlant autour d’eux. A tel point que la mailing list d’A Tant Rêver du Roi, qui annonce les dates, compte aujourd’hui un demi-millier d’abonnés.
“ Si un groupe joue une musique qui défonce tout, mais qu’on me dit que c’est des têtes de cons, on les programmera pas ”
Pour les groupes aussi, l’expérience de découverte est parfois un peu spéciale. « Ils sortent du camion, voient l’endroit, et tu lis un peu la détresse dans leurs yeux ! Ils se disent qu’ils vont devoir jouer dans un squat pourri. Mais quand on leur ouvre la porte, qu’ils voient les tapis au sol, les canapés, qu’ils goûtent le fondant au chocolat, qui est tellement fameux que la recette est même parvenue jusqu’à Kim Gordon, qu’ils entendent que l’acoustique est bonne, ils retrouvent le sourire ». En dix ans, ce sont plus de 300 formations de 17 ou 18 nationalités différentes qui sont passées par là. « Je programme en fonction des coups de cœur, des tournées et des contacts humains. Je me renseigne parfois auprès d’amis qui organisent des concerts dans d’autres villes pour connaître le caractère, l’attitude des groupes, et voir si ça vaut le coup en live. Si un groupe joue une musique qui défonce tout, mais qu’on me dit que c’est des têtes de cons, on les programmera pas. Idem quand dans un concert qu’on organise, on tombe sur des divas ou des gens snobs et prétentieux : on ne les refera pas jouer ».
Pour les gens d’A Tant Rêver du Roi, c’est un sorte de package : faire jouer un groupe qu’ils aiment, leur faire à manger, boire un verre avec eux, les accueillir chez eux… « On évite au maximum d’envoyer les groupes à l’hôtel, même quand on a le budget. C’est très souvent l’un d’entre nous, Enzo, ou d’autres potes de l’asso qui les hébergent. Mine de rien, ça peut paraître un détail, mais c’est important pour nous, on ne veut pas être juste dans une démarche « Accueil, concert, merci, au revoir ». L’accueil est apprécié : Enablers, groupe de post-punk de San Francisco, passe désormais à Pau lors de toutes ses tournées européennes grâce au bon contact noué avec ATRDR. De même, les Allemands de The Robocop Kraus : « La veille ils jouaient devant 800 personnes. Ici c’est différent, beaucoup plus petit, moins visible, mais ils ont adoré l’ambiance, le lieu et la convivialité propre à notre petite structure. Ça s’est super bien passé. C’était un concert vraiment fou, où il y avait aussi So So Modern, un groupe néo-zélandais qui ouvrait pour eux sur la tournée, une grosse claque et une belle surprise. C’est vraiment le genre de moments où tu sais pourquoi tu fais ça ».
Stéphane évoque également d’autres moments marquant, comme ce concert de 2007 : « Un vendredi soir, on a reçu un coup de fil de potes qui jouent dans Marvin, un groupe de Montpellier avec lequel on s’entend vraiment bien. Ils sortaient tout juste d’un concert à Toulouse avec Zu, un super groupe italien, et ils nous ont dit « On a un day off demain, ça vous dit de nous faire jouer ? ». J’ai passé mon samedi à envoyer des SMS, à dire aux gens que Zu venait jouer à Pau, la moitié ne me croyait pas, pensait que c’était une blague. On a fait 120 entrées, un concert dément, on n’avait jamais eu autant de monde. Et tout ça par le bouche à oreille. »
Toutes les bonnes choses ont cependant une fin. Après plus de dix ans de fonctionnement, le Localypso a connu sa dernière soirée le 26 juin dernier. Dans le cadre de la rénovation du quartier, la ville de Pau rachète actuellement tous les locaux et bâtiments afin de les raser, et le lieu n’a pas fait exception. « Les gens me disent que c’est triste de partir, me demande si je regrette, si ça ne me fait pas quelque chose, mais personnellement j’en ai fait le deuil assez vite. C’était bien le temps que ça a duré, mais c’est aussi super intéressant et excitant de passer à autre chose. Ça évite la routine, ça permet d’avoir de nouvelles perspectives ».
“ On a eu pas mal de messages assez émouvants. Pour nous c’est une source de motivation supplémentaire, on voit encore une fois pourquoi on fait ça ”
Lui succédera La Ferronnerie, un nouveau lieu situé à Jurançon et partagé avec Hart Brut (structure associative abritant le label Pagans). L’endroit est plus grand, plus ambitieux, avec des bureaux, un studio d’enregistrement, et un espace adapté aux résidences de groupes. « Quitte à partir sur un nouveau projet, on s’est dit qu’il fallait voir plus grand. Et comme Hart Brut recherchait aussi un local à ce moment-là, on a couplé nos besoins. Être à deux à va nous permettre une nouvelle dynamique, de vraies synergies, on s’essoufflera sans doute moins ». Créer un nouvel endroit, plus grand et plus complet, a nécessité un budget important qu’a permis le recours au financement participatif. « Au départ je n’étais pas spécialement pour : le crowdfunding je trouve ça très cool, mais maintenant ça sert un peu pour tout et n’importe quoi. Mais on s’est aperçus que les gens étaient contents de contribuer, ça leur a permis d’aider concrètement à construire quelque chose. On a eu pas mal de messages assez émouvants, de gens qui nous disaient que notre travail était indispensable pour la pluralité de l’offre musicale à Pau, qu’il ne fallait pas que l’on disparaisse, que nous étions un chainon indispensable. Pour nous c’est une source de motivation supplémentaire : on voit encore une fois pourquoi on fait ça ».